« DE LA FIERTÉ, MAIS AVEC HUMILITÉ »
JERRY KRATTIGER | 26.09.2025

Lorsqu’on parle de luxe, de prestige ou d’exclusivité, Fribourg n’est pas forcément le premier nom qui vient à l’esprit. Et pourtant. Derrière une sobriété toute helvétique, le canton dissimule un tissu économique d’une rare finesse. Un univers où l’exigence du détail, la maîtrise des gestes et la recherche de qualité s’expriment sans ostentation. Jerry Krattiger, directeur de la Promotion économique du canton de Fribourg, invite à poser un regard neuf sur ce territoire où excellence rime – encore – avec discrétion.

Fribourg et le luxe, ce n’est pas vraiment une évidence…?
C’est justement ce qui rend le sujet si captivant. Ici, le luxe ne saute pas aux yeux et ne s’affiche pas : il se devine. Mais dès qu’on regarde un peu mieux, on découvre une multitude d’acteurs qui cultivent une exigence rare. Des entreprises, des artisans, des créateurs qui façonnent la matière avec précision, qui font du geste un art et qui visent l’excellence sans jamais tomber dans l’esbroufe. Ce n’est pas un luxe tapageur. Plutôt une élégance discrète, enracinée dans le concret et le temps long. Très suisse… très Fribourg !

Quels secteurs incarnent le mieux cette ambition haut de gamme ?
L’exemple le plus évident est assurément l’horlogerie. Cartier assemble ici ses montres emblématiques, tandis que Mauron Musy développe dans la Broye ses modèles exclusifs et indépendants. Mestel se spécialise dans les composants horlogers de pointe et Rolex construit un nouveau site majeur à Bulle. Mais ce n’est pas qu’une affaire de montres ! Dans l’alimentaire haut de gamme, on pense notamment à des entreprises comme Ladurée, Nespresso ou Villars Maître Chocolatier, ainsi qu’à des artisans comme Maison Amarella ou Notes de fèves. Cellap et Margy’s incarnent la cosmétique d’exception, tandis que la Gainerie Moderne conçoit des écrins et packagings de prestige. Tous partagent un même souci du détail et une exigence extrême, tant dans le geste que dans le produit final.

Vous parliez gastronomie… Le terroir fribourgeois joue-t-il aussi un rôle ?
Absolument. Le canton compte six produits AOP, avec des cahiers des charges rigoureux qui garantissent une qualité exceptionnelle. Prenez aussi une double crème de la Gruyère accompagnée de meringues artisanales : en apparence, ce sont des produits simples. Et pourtant, vous touchez là à une forme de luxe – celui de l’authenticité, du terroir sublimé. Cette excellence peut s’exprimer par le goût, bien sûr, mais aussi par le toucher, l’esthétique, l’émotion. Le luxe ne se résume pas à un prix : c’est avant tout une expérience, un instant rare, une parenthèse exclusive.

Peut-on parler d’un écosystème local du haut de gamme ?
Oui, et il se renforce. On observe une véritable émulation entre artisans, PME et grandes entreprises, qui collaborent ou partagent une même exigence. Prenez des sociétés comme Bcomp ou Johnson Electric : ce sont des partenaires clés pour des acteurs comme BMW, Porsche ou Volvo. Des maillons discrets mais essentiels dans des chaînes de valeur internationales où l’exigence est maximale. Et si on élargit un peu, on pense aussi à Scott Sports, qui a su développer depuis Fribourg des vélos et accessoires haut de gamme reconnus dans le monde entier. Tout un réseau s’est mis en place, avec des ingénieurs, des fournisseurs, des partenaires locaux. C’est un écosystème complet, qui monte en gamme et tient la route.

Avec l’innovation comme colonne vertébrale ?
Exactement. Dans un pays où le franc est fort, seule l’innovation et la haute valeur ajoutée permettent d’exister à l’export. C’est une réalité économique. L’excellence fribourgeoise s’appuie sur un écosystème scientifique de très haut niveau. Le canton héberge des centres de recherche uniques comme iPrint à Marly ou le site de Michelin à Givisiez, qui jouent un rôle-clé dans le transfert technologique. Des instituts comme l’Adolphe Merkle Institute (AMI), ROSAS ou ChemTech repoussent les frontières de la connaissance et accompagnent directement les besoins de l’industrie. Ce savoir-faire scientifique est une forme de luxe immatériel et nécessaire : la capacité à penser, concevoir et prototyper ce que d’autres ne peuvent pas encore faire. C’est rare, c’est précieux – et c’est exactement ce que recherchent les entreprises internationales… mais aussi de nombreuses PME fribourgeoises.

Cette excellence se reflète-t-elle aussi dans la qualité de vie ?
Bien sûr ! Faire du VTT dans les Préalpes le matin, se baigner dans un lac limpide l’après-midi, puis dîner dans un restaurant raffiné… c’est aussi un luxe. Peut-être même le plus grand ! Cette qualité de vie contribue à l’attractivité du canton. On la retrouve dans des projets comme l’Attila, un bateau-hôtel de croisière lacustre unique en son genre, ou à travers des expériences rares : une croisière sur les trois lacs, une randonnée dans le massif majestueux des Gastlosen… Le Festival des Lumières de Morat en est un autre exemple : un événement artistique d’ampleur, dans un cadre exceptionnel.

Un mot de conclusion ?
Fribourg est une terre de valeurs, comme le dit le slogan cantonal, mais aussi une terre de valeur – au singulier. Une valeur tangible, construite dans la durée et portée par le travail bien fait, l’ambition discrète et le sens du détail. Ce n’est pas une image qu’on cherche à fabriquer, mais une réalité qu’il est temps de reconnaître. Une richesse qu’il faut désormais assumer, nommer… et faire rayonner. Éprouvons de la fierté, mais avec humilité.